- 1. Pourquoi apprivoiser ses émotions ?
- 2. Découvrir ce que sont vraiment les émotions
- 3. Ce qui nous empêche de vivre nos émotions sereinement
- 4. Trois étapes pour apprivoiser une émotion
- 5. Applications pratiques pour formateurs et apprenants
- Apprivoiser, ce n’est pas contrôler
- Bonus pratique à télécharger
Vous est-il déjà arrivé de vous sentir submergé·e par la colère, la peur ou la tristesse, au point de ne plus savoir comment réagir ? En formation comme dans la vie, nos émotions colorent nos perceptions, guident nos comportements et influencent profondément nos apprentissages. Apprendre à les apprivoiser, ce n’est pas les contrôler, mais apprendre à les reconnaître, à les accueillir, puis à les transformer.
Objectif de cet article : vous transmettre des clés concrètes, accessibles et puissantes pour développer votre intelligence émotionnelle dans vos pratiques professionnelles et votre quotidien.
1. Pourquoi apprivoiser ses émotions ?
Les émotions jouent un rôle bien plus central qu’on ne le pense. Ni parasites, ni obstacles, elles sont des alliées puissantes — à condition d’apprendre à les accueillir et à reconnaître ce qu’elles tentent de nous dire. Voici pourquoi il est essentiel d’apprendre à vivre avec elles en conscience.
1.1. Un système d’orientation intérieure
Dans nos vies personnelles, professionnelles ou pédagogiques, les émotions forment un véritable système d’orientation interne. Elles façonnent notre manière de ressentir, d’agir et d’entrer en relation.
En tant que formatrice et chercheuse, j’ai observé combien elles influencent profondément nos interactions, notre posture d’accompagnement, et notre capacité à apprendre.
1.2. Des signaux au service de l’équilibre
Les émotions modifient notre perception du monde, des autres et de nous-mêmes. Elles orientent nos comportements, soutiennent nos décisions, ou peuvent freiner nos élans. Elles ne sont ni « bonnes » ni « mauvaises » en soi : ce sont des indicateurs fiables de nos besoins essentiels.
1.3. Une fonction adaptative majeure
Dans ma thèse, je les définis comme « déclencheurs de comportements, moteurs de motivation et indicateurs de besoins » (Eymery, 2012 ; p.180). Cette dynamique est au cœur de notre capacité d’adaptation et de notre créativité, bien au-delà des approches classiques de la pédagogie.
1.4. De la réaction à la transformation
Apprivoiser une émotion, ce n’est ni la contrôler ni la fuir. C’est apprendre à l’écouter, à la localiser dans le corps, à décoder son message. C’est à partir de cette présence à soi que l’on peut transformer une charge émotionnelle en ressource concrète, au service de l’action juste.
1.5. Un levier pour un apprentissage vivant
En formation ou dans l’accompagnement, cette lucidité émotionnelle crée un espace de sécurité, d’engagement et de coopération. Elle ouvre la voie à une relation pédagogique plus humaine, plus juste, plus vivante.
2. Découvrir ce que sont vraiment les émotions
Avant de pouvoir les apprivoiser, il est utile de cerner ce que sont réellement les émotions. Non, elles ne sont pas des caprices incontrôlables. Elles sont des indicateurs subtils, enracinés dans notre histoire, notre biologie et nos relations.
2.1. Ni faiblesse, ni défaut : des messagères internes
Les émotions ne sont pas des erreurs du système. Elles sont des signaux internes qui expriment un déséquilibre, une alerte, un besoin. Trop souvent confondues avec des pensées ou des réactions incontrôlables, elles sont pourtant à la fois utiles, nécessaires et intelligentes.
2.3 Une dynamique à trois niveaux
Les émotions ne surgissent pas de manière désordonnée. Elles s’activent à travers un enchaînement clair : ressenti corporel, interprétation mentale, puis comportement. Prendre conscience de ce processus permet d’éviter les réactions automatiques et de revenir à une forme de présence à soi.
On peut distinguer :
- Le ressenti – Ce que je perçois physiquement (accélération du cœur, tensions musculaires, gorge nouée…)
- La pensée – Ce que j’en conclus (“je ne suis pas écouté”, “je vais échouer”…)
- Le comportement – Ce que je fais en réponse (je me ferme, je hausse la voix, je m’isole…)
Ce processus n’est pas linéaire, mais il a une logique. Comme je l’écris dans ma thèse : « il est d’abord nécessaire de ressentir avant de pouvoir interpréter, il est d’abord nécessaire d’expérimenter avant de pouvoir construire sa structure cognitive » (Eymery, 2012 ; p.180).
Autrement dit, tout passe d’abord par le corps. Les sensations sont les premiers indices qu’une émotion est en train de se vivre. Les ignorer, c’est se couper d’une information précieuse. Les accueillir, c’est ouvrir un espace de régulation avant que l’émotion ne se transforme en réaction non choisie.
2.4. Chaque émotion a une fonction utile
Plutôt que de les juger, il est utile de reconnaître leur rôle :
- La peur nous protège d’un danger réel ou symbolique.
- La colère signale une atteinte à une limite ou un besoin de justice.
- La tristesse accompagne les pertes et facilite le détachement.
- La joie renforce les liens, l’énergie et le sentiment d’accomplissement.
2.5. Accueillir sans juger : une posture clé en pédagogie
Les émotions ne sont ni « positives » ni « négatives ». Ce qui devient difficile à vivre, ce ne sont pas les émotions elles-mêmes, mais les stratégies d’évitement, de répression ou de contrôle rigide qui bloquent leur circulation naturelle.
En les reconnaissant, en les nommant sans jugement, nous créons l’espace nécessaire pour agir avec discernement plutôt que de réagir sous pression. Cette posture d’accueil est essentielle dans tout cadre pédagogique : elle améliore la qualité de présence, soutient la gestion du groupe, et renforce l’alliance éducative.
Développer cette clarté émotionnelle, c’est aussi offrir aux apprenant·es un modèle de régulation authentique, où chacun·e peut se sentir légitime d’éprouver, d’exprimer, et de transformer ce qui le traverse.
3. Ce qui nous empêche de vivre nos émotions sereinement
Même si les émotions sont naturelles et nécessaires, beaucoup d’entre nous les vivent avec inconfort, voire avec honte. Pourquoi est-il si difficile de les accueillir ? Plusieurs freins — souvent inconscients — entravent cette relation à soi. Les identifier, c’est déjà créer de l’espace pour s’en libérer.
3.1. Les croyances et interprétations erronées
Nous avons parfois intégré l’idée qu’une émotion est un signe de faiblesse, d’échec ou de danger. Par exemple : « Si je ressens de la colère, c’est que je suis une mauvaise personne » ou « Si je montre ma tristesse, je perds ma crédibilité ».
Ces croyances déforment la nature même de l’émotion. Elles génèrent du rejet, de la culpabilité, et renforcent les tensions internes. Or, une émotion ne dit rien de notre valeur ; elle informe simplement sur un besoin en jeu. Sortir de l’auto-jugement est une première étape de régulation.
3.2. Les mécanismes d’évitement
Face à une émotion jugée « trop » intense ou « inappropriée », nous adoptons souvent des stratégies d’évitement. Cela peut se traduire par :
- Le refoulement : on bloque l’émotion sans la traiter.
- La fuite : on se distrait, on s’éparpille, on fuit le corps ou la relation.
- La rationalisation : on intellectualise pour ne pas sentir.
Ces mécanismes sont parfois utiles à court terme, mais à long terme, ils peuvent engendrer fatigue, tensions chroniques, ou réactions disproportionnées. Apprivoiser ses émotions, c’est accepter de les traverser plutôt que de les contourner. Si vous ressentez souvent une pression diffuse sans en identifier la cause, il peut être utile de distinguer le stress de l’anxiété, deux états émotionnels souvent confondus mais très différents dans leur impact et leur régulation.
3.3. Les conditionnements familiaux, scolaires et culturels
Beaucoup d’adultes ont grandi dans des contextes où l’expression émotionnelle n’était pas valorisée. Entendre dès l’enfance des phrases comme « Arrête de pleurer », « Tu es trop sensible » ou « Sois fort·e » crée des schémas de déconnexion ou d’auto-censure.
À l’école, on a souvent appris à valoriser la performance et la maîtrise intellectuelle, au détriment de l’écoute intérieure. En entreprise, les émotions sont encore perçues comme gênantes ou « personnelles », donc à écarter. Ces injonctions sociales laissent peu de place à une autorégulation émotionnelle saine.
3.4. Le corps oublié dans les pratiques pédagogiques
Un autre obstacle majeur est l’absence de lien avec le ressenti corporel. Dans de nombreuses approches éducatives ou formatives, le corps est mis de côté, voire considéré comme un empêcheur de concentration. Or, toute émotion commence par une sensation. Si ce premier signal est ignoré, c’est l’ensemble du message émotionnel qui se perd.
Réhabiliter l’écoute somatique, c’est remettre du vivant dans l’apprentissage. C’est permettre à l’émotion de circuler avant qu’elle ne se transforme en tension, en retrait ou en débordement.
4. Trois étapes pour apprivoiser une émotion
Plutôt que de chercher à supprimer une émotion, il est plus juste de lui faire une place, de l’écouter, puis de la transformer. Ce processus se déroule en trois étapes simples, mais puissantes. Elles permettent de passer de la réactivité à une posture consciente, intérieurement stable et relationnellement juste.
4.1. Identifier l’émotion et son déclencheur
Tout commence par la capacité à mettre un mot sur ce qui est vécu. Tant qu’une émotion reste floue, elle peut envahir l’espace sans que nous puissions agir dessus. La nommer, c’est lui donner une forme, et déjà amorcer un apaisement.

Pour cela, on peut se poser trois questions simples :
- Qu’est-ce que je ressens exactement ? (peur, colère, frustration, joie…)
- Où cela se manifeste-t-il dans mon corps ? (ventre, gorge, mâchoire…)
- Quel évènement ou quelle pensée a déclenché cela ?
Dans un contexte pédagogique, cette étape peut être introduite par un rituel simple, comme la météo intérieure en début de session : une invitation à dire où on en est, sans justification, juste en nommant ce qui est là.
4.2. Accueillir sans juger
Une fois identifiée, l’émotion a besoin d’être reconnue, sans être minimisée ni dramatisée. L’accueil consiste à lui accorder un espace, à accepter qu’elle soit là, ici et maintenant. Ce n’est ni une faiblesse, ni un problème à résoudre immédiatement.
Je propose souvent la métaphore de la vague : une émotion monte, atteint un pic, puis redescend si on la laisse circuler. Résister, c’est créer de la tension. Accueillir, c’est surfer sur l’émotion plutôt que d’y sombrer.
Des phrases comme « je ressens cela, et c’est OK pour maintenant » ou « je n’ai pas besoin de comprendre tout de suite, je peux juste observer » favorisent ce lâcher-prise actif.
4.3. Transformer l’émotion en action constructive
Une émotion porte toujours un message : elle signale un besoin qui demande à être entendu. Une fois le besoin clarifié, il devient possible de poser une action juste, alignée et apaisée.
Par exemple, derrière la colère se cache peut-être un besoin de respect. Derrière la peur, un besoin de sécurité. Derrière la tristesse, un besoin de soutien. En identifiant ce besoin, on peut choisir une action qui vient le nourrir.
Parmi les outils utiles :
- Le journal émotionnel : écrire ce que je ressens, ce que cela me dit, ce dont j’ai besoin.
- La respiration consciente : revenir dans le corps pour apaiser le mental.
- Le dialogue intérieur : se parler avec bienveillance, comme à un·e ami·e proche.
Dans une posture de formateur·trice, cela implique aussi de ne pas projeter ses émotions sur le groupe. L’écoute de soi permet de réguler ses états internes avant de poser un cadre ou d’intervenir auprès des apprenant·es.
5. Applications pratiques pour formateurs et apprenants
Développer une intelligence émotionnelle n’est pas réservé à la sphère privée. C’est une compétence transversale précieuse à intégrer dans les espaces d’apprentissage. Voici comment créer des pratiques concrètes pour soutenir une dynamique pédagogique vivante, fluide et profondément humaine.
5.1. Du côté des formateurs : créer un climat émotionnel sécurisant
Le rôle du·/ de la formateur·trice ne se limite pas à transmettre un contenu. Il·/ elle est aussi garant·e du cadre émotionnel dans lequel l’apprentissage se déroule. Or, plus ce climat est sécurisant, plus les apprenant·es peuvent s’exprimer, expérimenter et s’engager pleinement.
Voici quelques pratiques simples et efficaces à intégrer dans vos sessions :
- Rituels d’ouverture : une météo intérieure, un mot du jour, un tour de ressenti pour poser l’ambiance.
- Temps d’ancrage : quelques respirations guidées ou une brève prise de conscience corporelle pour recentrer le groupe.
- Journal émotionnel : proposer en fin de journée un court temps d’écriture libre autour de « ce que j’ai ressenti aujourd’hui dans l’apprentissage ».
- Cercle de parole : en cas de tension ou de besoin d’expression, offrir un cadre clair pour parler sans être interrompu.
5.2. Du côté des apprenant·es : développer l’autorégulation
Les apprenant·es aussi gagnent en autonomie et en motivation lorsqu’ils disposent d’outils pour nommer et réguler ce qu’ils vivent. Loin d’être une « perte de temps », cette démarche renforce la concentration, l’engagement et le plaisir d’apprendre.
Quelques pistes à proposer :
- Valoriser l’erreur : encourager une posture où l’erreur devient un signal utile, non une faute à punir. Cela détend l’atmosphère et libère la créativité.
- Offrir un cadre de feedback bienveillant : régulier, constructif et cadré, il soutient une autorégulation émotionnelle sans jugement.
- Introduire des outils simples : roue des émotions, carnet de bord, tableau des ressentis… qui favorisent la conscience de soi.
5.3. Une pédagogie plus incarnée
Intégrer les émotions dans l’acte de former, ce n’est pas « faire de la thérapie ». C’est prendre en compte le facteur humain comme partie intégrante de tout processus d’apprentissage.
Plus le / la formateur·trice développe cette présence intérieure, plus il·/ elle peut ajuster sa posture, poser un cadre souple et contenir les situations émotionnelles du groupe avec justesse. C’est cette qualité d’écoute, à soi et aux autres, qui fait la différence entre une formation qui informe… et une formation qui transforme.
Apprivoiser, ce n’est pas contrôler
Travailler sur ses émotions ne signifie pas devenir lisse, parfait·e ou « toujours calme ». Cela signifie apprendre à être en lien avec ce qui nous traverse, sans fuir ni imposer. Apprivoiser, c’est cohabiter, dialoguer, réguler… et non dominer.
Les émotions ne sont pas des obstacles à l’apprentissage ou à la transmission. Elles sont des alliées, parlent de nos valeurs, de nos limites, de nos besoins. Elles nous reconnectent à notre humanité. En les accueillant, nous développons une présence plus stable, plus souple, plus incarnée — à nous-mêmes et aux autres.
Ce chemin ne se fait ni en un jour, ni dans l’effort de performance. Il se construit par petites touches, à travers des rituels, des prises de conscience, des ajustements. Il commence là où vous êtes, avec ce que vous ressentez ici et maintenant.
En tant que formateur·trice ou apprenant·e, cultiver cette présence émotionnelle vous permettra de créer des espaces d’apprentissage où l’on peut être pleinement soi, s’exprimer sans peur, expérimenter avec confiance, et évoluer dans le respect mutuel.
✨ Invitation : choisissez un petit rituel, une pratique, une intention parmi celles proposées dans cet article. Testez-la dans votre quotidien ou votre prochaine session. Observez ce que cela change — pour vous, et autour de vous.
Bonus pratique à télécharger
Parce qu’apprendre à apprivoiser ses émotions passe aussi par l’expérience, je vous propose un outil simple et efficace à intégrer dans votre quotidien ou dans vos sessions de formation. Ce bonus est conçu pour favoriser l’autorégulation émotionnelle, stimuler l’introspection et encourager la prise de recul.
a) 🎁 Fiche outil : « Mes émotions en 3 questions »
À imprimer ou à utiliser en fin de journée, lors d’un debrief de session ou en auto-coaching.
À tester : répondez aux trois questions de la fiche pratique chaque soir pendant une semaine. Vous serez surpris·e par la clarté et la légèreté qui en découlent.
📥 Téléchargez le PDF ici : Fiche pratique – Mes émotions en 3 questions
b) Exercice complémentaire : La météo émotionnelle
Un rituel doux à introduire en formation, en réunion ou chez soi.
- Associez votre état du moment à une météo symbolique (ex. : brumeux, éclatant, orageux, changeant…).
- Ajoutez un mot ou une phrase pour exprimer ce que vous ressentez.
- Facultatif : proposez un geste ou un mouvement pour accompagner cette météo (ex. : poser une main sur le cœur, inspirer profondément…).